PARAGES

1973/1974 – 46′

(à Kevin Spencer)

I – 1 : Etude de matière, d’espace et de rythme : 13’50

II – 2: Le cycle d’lcare : 11’20

2.1 labyrinthe : 2’30

2.2 vol : 4’02

2.3 chute : 2’06

2.4 abysses : 2’38

III – 3 : Traces et réminiscences : 20’53

Dans quels «Parages» s’ouvre ce diaphragme sur l’infini ? Peut-être dans ces contrées limpides où les «négatifs» voilent en se superposant la perspective où bat le pouls de l’homme. Quand la matière s’éveille, l’homme n’est pas loin qui rêve de dompter ses secrets. Ainsi c’est un secret que de prédire la pulsation des espaces que Jacques Lejeune domine et où l’onde, le point, la ligne ne cessent d’écrire et de décrire face à la dilution cette persistance du danger de l’écriture elle-même.

Jacques Lejeune traverse souvent le tissu musical comme un paysage créant ainsi un déroulement des couleurs, des lieux et des évènements sonores qui lui est propre. Il affectionne le cycle, le cercle, l’éternel recommencement du mythe jamais vaincu. La matière sonore et la matière humaine du vécu se confrontent, s’unissent au-delà des processus musicaux. Je retrouve dans «Parages» une des constantes de l’oeuvre de Lejeune quand il déclenche le tumulte des éléments dont il domine la lame sourde qui est l’être de sa musique.

1. : Un déferlement de masses envahit l’espace, donnant naissance à des parcelles d’éclatement, à des implosions balayées dans un mouvement de flux et de reflux. Puis l’énergie se retire laissant ça et là quelques empreintes du rythme. Enfin cette exploration de la matière s’évase vers une idée de paysage dont la perspective formée de minces lignes de direction crée le relief. Quelques objets ponctuels cherchent leur position proche ou lointaine dans la géométrie déliée de l’espace changeant de plan comme l’électron change de couche. Des grattements électroniques, une granulation d’insectes crieurs mêlés à un tissu humain d’inquiétude figurent une jungle inconsciente et artificielle. La palpitation du rythme laisse place à des ondes pleines dont l’oscillation évolue parallèlement à un rythme mécanique. Des couches s’épaississant créent un rapport surface-profondeur et s’interpénètrent. Des trains s’emballent pour un voyage éclair, rapidement transfiguré en rythmes de tambour qui évoquent la danse humaine avant que les cloches, le cristal, l’eau, la voix féminine nous rappellent que l’auteur a choisi l’aboutissement transparent.

2.1 Par ses halètements mécaniques et humains , ses brisures, ses écarts, ses ruptures, l’angoisse nous saisit et nous porte d’une flèche inconsciente par son accélération lourde, oppressante vers l’issue que cristallisent les sonorités retrouvées du clavecin.

2.2 Un discours très linéaire, enguirlandé de volutes évoluera vers une perspective où sous et sur le langage s’amplifie son épaisseur jusqu’à l’illisibilité et l’éblouissement fatal.

2.3 Porté par l’air Icare n’est pas victime d’une chute brutale, il en connaît d’abord les paliers. Les percussions évoquent les courants descendants et ascendants et l’oreille visualise l’éloignement de la chute qui se dissout dans l’infini.

2.4 Dans cette descente au ralenti aux enfers liquides d’une douceur, d’un pointillisme délicat, d’une contexture multiforme, les visages interrogent. Icare est entraîné encore une fois dans un rapport surface-profondeur.

3. L’auditeur est projeté brutalement dans une matière qui s’amoncelle. Puis par une idée de variation-permanence les formes s’interpénètrent souvent dans des profondeurs différentes. Le lisible l’emporte sur l’illisible et vice versa. A cette donnée générale et fondamentale de l’oeuvre (amplification et dégradation des évènements sonores) s’ajoutent de multiples mécanismes internes qui articulent les différents changements de pression, de vitesse, de plan, de direction ou d’intensité du tracé musical créant ainsi des phénomènes de surcharges, d’empreintes, de traces et de réminiscences d’une matière en perpétuelle mouvance d’intentions.

Mais il faut surtout noter les phénomènes de transparence ambiguë. La rémanence, persistance dans le champ d’écoute, permet d’affirmer la volonté du paysage acoustique en même temps que des plans souples en révolution ne cessent dans leurs vagues oniriques de se recouvrir, de se dévorer les uns les autres comme s’ils interdisaient l’approche de la transparence. Des résurgences de deux ordres interviennent dans le cours de l’oeuvre : citations rappelant les pièces précédentes et impacts réalistes qui sont autant d’allusions au vécu de chacun. Il faudrait aussi parler de récurrence quand les objets semblent, en se réfléchissant sur un miroir contondant, s’amollir, se ralentir jusqu’à ne former que des traces troubles qui se raréfient et s’estompent retournant à l’invisible. (Alain Morin (1988)

PALPITATIONS DE LA FORET (LES)

1985 – 26’40

I – l. Tressaillements-palpitations (+/- 11′)

2. Personnage-paysage (+/- 5′ 30)

3. Lumière crue-lumière chaude (+/- 10′ 30)

La notion de séquence est incertaine, la césure n’existe pas. Il s’agirait plutôt de régions dans lesquelles le passage d’une séquence à une autre se perçoit lentement par le tuilage des matériaux. Les titres ne signifient plus une histoire avec ses différentes péripéties (« Blancheneige ») mais évoquent quelque chose de stylisé. C’est une autre vision de la forêt, beaucoup plus angoissante parce qu’elle perd ses repères anecdotiques.

C’est par le chaos forestier que commence brutalement cette pièce, par une forme extrême et colossale qui comprend à la fois le très grand et l’infiniment petit. Cette matière en fureur continue et trépidante est d’une pure indétermination ; Nous sommes dans le noir d’un puits sans fin qui étouffe, agresse et projette l’auditeur en lui indiquant un autre univers fantastique à son écoute : là où se confondent les formes humaine, animale, végétale et minérale avec les choses de l’inconnu.

Mais cette forêt devient, à certains moments, moins rude. On perçoit alors, dans la lueur d’un paysage nouveau, les signes feutrés d’images animalières, la présence estompée d’un personnage-foule, l’appel et les gémissements de ces cris anonymes ; puis finalement, dans la dilution définitive et apaisante de la sylve, apparaît une douceur sensuelle et lumineuse, en forme de berceuse, une sorte de chaleur harmonique qui se courbe devant le soleil naissant et se peuplent d’oiseaux flamboyants.

ORAISON FUNEBRE DE RENART

d’après le Roman de Renart, transcrit par A.M. Schmidt

pour soprano et sons instrumentaux échantillonnés

1994 – 14’30

« L’Oraison funèbre de Renart est une douce pièce aux sonorités évocatrices de la musique folk ou des sons médiévaux. Une petite ouverture fait entendre des interventions instrumentales répétitives, toute une palette bien organisée qui donne à l’ensemble une signature propre. Le traitement de la voix agile et même virtuose se soucie de prosodie, de sorte que le texte reste clair. La chanteuse doit être aussi -et peut-être d’abord- une récitante, une narratrice dont les inflexions doivent intéresser, susciter le suspense des auditeurs -et ici on peut imaginer les yeux écarquillés d’un jeune auditoire. Il y a dans ce genre de musique un aspect impondérable fait de mille riens qui revient à la diseuse, entourée par l’accompagnement instrumental d’un maillage fin et précis, commentant le texte avec insistance ou humour. » (Jacques Bonnaure, 1993).

OPÉRA D’EAU

1991 – 22’47

(à Violaine)

Des monologues, des duos ou des choeurs de personnages en situation d’opéra… ; une eau apaisante et folle, en susurrements minuscules et doux, en clapotis agiles, en sons aigus et de cristal, rapides et répétés, qui nous rappellent constamment l’image aquatique et ondiforme… Au delà, on entendra aussi cette pièce comme un échange entre deux matières vocales, entre deux mondes : l’un, celui d’une population humaine, charnelle dans ses expressions et dans ses débats étranges, disparaît progressivement; l’autre, celui d’une population d’êtres miniaturisés, femmes enfantines et oiseaux insectiformes, apparaît peu à peu et finit par envahir et recouvrir totalement le premier.

OISEAU ET L’ENFANT(L’)

1982 – 11’40

A l’origine, cette pièce a été conçue pour la radiophonie, dans le cadre d’un concert collectif des membres du GRM qui devaient illustrer une situation sonore de Paris. J’ai choisi celle du réjouissant marché aux oiseaux situé place Louis Lépine et le long du quai de la Mégisserie. Au milieu du brouhaha des badauds, des bruissements des ailes et de la polyphonie des chants d’oiseaux qui étaient enregistrés, j’ai saisi, à un moment donné, les exclamations d’un jeune enfant à qui l’on avait promis l’achat d’un oiseau.

Par la suite, elle a été réduite et remaniée dans sa forme, avec toujours les mêmes sons d’origine, pour en faire une version de concert. Dans celle-ci, une sorte de « scénario » s’est imposé à moi, devenant progressivement un conte : la scène paisible de cette réalité enfantine a glissé doucement dans un territoire inquiet et fantasmagorique où l’oiseau, à la fois guide et agresseur, se métamorphose, enrobe et finit par absorber l’enfant. Ces personnages sont tous les deux entraînés par un tourbillon de plus en plus systématique qui aboutit à l’anéantissement de l’image qu’ils représentaient. L’anecdote et ses déclinaisons musicales permettent ici de cadrer la forme et deviennent l’élément actif, déclencheur, frein et accélérateur.

Le motif du personnage humain est matérialisé par les voix du marchand et de l’enfant, chacune sous la forme d’un fragment de phrase repris comme un leitmotiv. La voix humaine fait image par l’expression de ses intonations dans un contexte anecdotique donné mais aussi par la parole mise en boucle et qui « raconte ». Le motif du personnage-oiseau est lui aussi représenté par le même système de boucles mais la matière en est plus stylisée : celle résultant d’une contraction rythmique d’un élément aigu, à la fois organique, « électronique » et « ornithologique ». Ces deux motifs sont devenus des thèmes musicaux et dramatiques. Ils balisent le déroulement de la pièce.

OISEAU-DANSE-LA-PLUIE (L’)’

pour piano et bande magnétique

1992 – 19

Cette pièce est ambiguë dans sa facture car ce n’est que pour environ la moitié, située au centre de la pièce, qu’elle fait apparaître sa mixité. L’écriture du piano s’inspire d’une approche électroacoustique (collage, boucles, épaississements, phénomènes d’apparition et de disparition, élans et poursuites de petites entités morphologiques autonomes, etc.). Sensuelle et ludique, elle métaphorise les figures pianistiques en eau et joue avec les images de la bande (murmures et tremblements doux, petits clapotis, ricochets, jaillissements, pulsations, pluie fine, voix de femme-enfant, oiseaux, grenouilles et insectes, androgynat de phonèmes, glissades et goutte à goutte…) et les mélange aux couleurs imaginaires du jazz et d’une danse latino-américaine.

MESSE AUX OISEAUX

1986-1987 – 66’42

• Premier temps : Kyrie (18’48)

I – 1. Eleison : 7’34

2. Kyrie eleison 1: 1’37

3. Christe eleison : 3’55

4. Kyrie eleison 2 : 5’42

• Deuxième temps : Gloria-Credo (29’18)

II – 5. Gloria in excelsis Deo : 4’05

6. Et in terra pax : 2’43

7. Laudamus te : 1’22

8. Qui tollis : 1’02

9. Quoniam tu solus sanctus : 1’10

10. Credo in unun Deum : 3’38

11. Et incarnatus est : 3’30

12. Crucifixus : 1’50

13. Et resurrexit : 2’03

14. Credo in spiritum sanctum : 4’55

15. Et exspecto : 3′

• Troisième temps : Sanctus-Agnus Dei (18’36)

III – 16. Sanctus : 0’18

17. Hosanna 1 : 0’46

18. Benedictus : 3’24

19. Hosanna 2 : 2’02

20. Agnus Dei : 4’36

21.Dona nobis pacem : 7’28.

La Messe est la forme musicale la plus ancienne puisqu’elle remonte au Xème siècle, pour ce qu’on en sait musicalement, et c’est peut-être par défi personnel mais aussi comme un exercice de style que j’en ai composé trois, toutes très différenciées. C’est pourquoi j’ai voulu, au moins pour la première fois, conserver intégralement le texte des cinq prières.

C’est une oeuvre de musique concrète conçue avec une participation chorale que je serais plutôt tenté de définir par « masse vocale informelle », tant la notion de soliste ou de groupe est fondue dans l’écriture spécifique de cet art (effets et manipulations amplifiant l’espace et la présence de la voix, masquage du sens par découpage morphologique, grossissement et allongement par le ralentissement, etc.).

Devant l’importance de la durée, comme c’était l’un des partis choisis au départ, j’en ai fait trois parties et divisé l’ensemble du texte en 21 séquences (pour certaines de celles-ci, on pourrait parler de micro-séquences accolées ou indépendantes (ouverture ou prélude inclus, interlude plus ou moins long, final, etc.)). Ce découpage du texte correspond plus ou moins à la tradition et c’est par la forme du bâti de l’œuvre que j’en ai fait vraiment autre chose.

Marseillaise avec choeurs et personnages ou Étude au 14 juillet

1988 – 20’10

Le titre même de cette pièce l’oriente vers deux directions d’écoute possibles :

D’abord celle de la paraphrase d’un motif musical très connu qui devient ici l’image de l’hymne en général, objet poético-dramatique et archétypique dans l’élan de son galbe mélodique et l’essence de sa matière, à la fois couleur et épaisseur d’orchestres cuivrés et de choeurs indéfinis (travail sur le tempo, sur l’étirement du tissu sonore et sur la durée de la forme ; sur la fragmentation et l’éclatement de « l’air » apparaissant ou disparaissant du champ de la perception et de celui de la mémoire ; d’une approche enfin sur les leurres, les masques et les transpositions de la figuration de l’objet).

Puis celle qui touche à l’aspect dramaturgique de la présence humaine: les choeurs sont la substance vocale de l’hymne en même temps que les foules diverses accompagnant son déroulement; les personnages sont esquissés par ces surgissements morphologiques imagés ayant un rôle musical déterminé (râles, pas, etc.) et par ces figures d’enfants ne faisant que passer, comme une pause dans le climat et l’architecture de l’ensemble.

JEUX D’OISEAUX SURPRIS AU DETOUR D’UN RUISSEAU

pour soprano, flûte et piano

1999 – 5′

Je fonds et confonds l’oiseau dans les murmures de l’eau vive et l’oiseau-instrument est en même temps trille de flûte ou rire de gorge d’une cantatrice transposée en personnage-eau… L’argument est humble et contenu déjà dans le titre : un bref prélude d’eau carillonnante puis le jeu facétieux des oiseaux jacassant au milieu des éclaboussures.

INVITATION AU DEPART (L’)

1983 – 40’20

(à Dominique)

I – 1. Déchirure de l’ombre : 9’15

II – 2. Rêverie du départ : 7’05

III – 3. Trois aperçus du jardin qui s’éveille : 10’25

3.1 harmonica de brume : 3’54

3.2 ramages : 2’50

3.3 silhouette de kiosque : 3’37

IV – 4. Fantasmagories matinales dans la maison : 13′ 20

4.1 en bas, quelque part : 4’32

4.2 dans la chambre, dans la tête, le dernier rêve : 2’48

4.3 entre les deux : 5’58

L’invitation au Départ comprend quatre séquences et se subdivise en huit sections mais se présente dans sa forme générale, poétique et symbolique, en deux grandes parties. Celles-ci expriment deux états du vivant au travers de l’allégorie du passage de l’ombre vers le jour : l’attente et de la rêverie des matières à l’éveil et le surgissement des mouvements dynamiques et de l’animation des êtres de la réalité. La première est de l’ordre du déploiement, du flux lent comme une inspiration illimitée, comme un mouvement à la limite du figé ou d’un essor suspendu. Il s’agit donc d’un espace qui s’organise sans brusquerie. La seconde, au contraire, représente le travail dessiné d’une succession de saynètes vives et bigarrées

IMPROMPTU-NUAGE ou Etude sur l’ordinateur du GRM à partir d’une morphologie

1985 – 5’10

Cette étude sur les aspects des moyens numériques du GRM de l’époque, à partir d’une morphologie unique – ici, il s’agit du déroulement d’un papier collant -, a été créée au cours d’un troisième concert collectif intitulé Germinal qui réunissait douze compositeurs ayant chacun réalisé une pièce brève dans les mêmes conditions.

FRAGMENTS GOURMANDS

pour voix, famille de saxophones et bande magnétique

d’après Brillat-Savarin : 16′

1995 – 16′

(à Nicolas Prost)

Cinq parties peuvent être retenues dans cette pièce pleine d’humour, de fluidité et de vélocité : de la supériorité du goût chez l’homme par rapport à celui de l’animal ; de l’augmentation de la soif selon les circonstances ; de l’influence de la gourmandise sur le bonheur ; du bouilli réservé à ceux qui ne savent pas manger ; de l’apologie de la volaille par ses nombreuses manières de l’apprêter.

Le choix du dispositif alternant les 6/7 saxophones, la voix et la bande magnétique, annoncent un mode de composition à la fois ludique, énumératif et évolutif qui met en évidence la forme morcelée. La multiplicité et la taille des instruments, la rapidité des changements et la virtuosité, annoncent également un caractère s’adaptant à une forme théâtrale mais qui ne cesse jamais d’être pleinement musicale dans ses coïncidences du son et de ses mots joués. Ce jeu continu des couleurs va se terminer dans une coda. C’est en effet seulement vers la fin que se trouve un semblant d’unité : comme une mayonnaise qui aurait enfin prise et monte résolument dans la forme musicale pure.

ETUDE-PARAPHRASE SUR LE MOTIF DU PERSONNAGE

987 – 9’38

Cette étude était venue de l’envie de reprendre un certain nombre de couleurs et de formes évoquant la notion du « personnage ». Cela s’est fait au travers des matériaux de base, en provenance de plusieurs pièces de l’époque (Cri, Petite suite, Une Danse macabre, Symphonie au bord d’un paysage, L’Invitation au départ, notamment). La définition de ce concept est développée dans l’article « Musicalité,théâtralité et poétique ».

ENTRE TERRE ET CIEL

1979 – 22’20

Entre Terre et Ciel est un espace flou, imaginaire (je suis dans mon lit mais aussi dans ma chambre, ma maison, ma ville, mon pays, le monde, dans …) Succession de lieux non délimités dans le temps, différents en couleur, en densité et en transparence et dont les éléments qui les occupent s’apparentent, de par leur caractère, leur morphologie, leur mouvement, voire l’attention subjective qu’on leur porte, à ceux de la terre, du feu, de l’air et de l’eau. Ces éléments vont et reviennent, s’affrontent et s’épousent sous des éclairages différents, traversant ainsi des zones d’ombre, de confusion, d’effacement ou de lumière.

Le thème d’Icare n’est plus très loin : séjour dans le labyrinthe des morphologies entremêlées du coeur de la terre et dans celui de la transparence infinie de l’air. Traversée des surfaces, des écrans, des zones de turbulence ou de quiétude. Parcours de la tessiture, des régions où se concentrent les grondements souterrains et les entités graves, des registres propres aux objets brillants qui se heurtent et se brisent, des lieux où se mêlent les souffles, les échos et les réminiscences aux granulations suraiguës. Mouvement centripète, de tourbillon, d’aspiration vers le gouffre; mouvement d’éruption, d’éclatement des projectiles occupant l’espace.

Lieux d’attirance, de contacts, de répulsion, d’arrêts, de poursuites, de chute et d’envol.Certaines formes imagées peuvent acquérir, dans l’écriture de la phrase musicale, une destinée particulière pour leur analogie avec des images élémentaires ou des archétypes de mouvement. Dans Entre terre et ciel, la réalité est diluée dans l’élan kinesthésique des figures. Pas, sauts, détonations, chocs et bruits organiques brefs et divers sont travaillés et développés exclusivement dans le sens de leur profil dynamique, lavés de leur signification originelle. Seule subsiste une ossature pulsionnelle et stylisée proche de l’abstraction.

ELOGE DE LA BETISE ou Les Péripéties des Ubu

Funambu(r)lesquerie en 14 séquences sur des textes de Alfred Jarry.

pour soprano, mezzo-soprano, baryton, deux saxophones baryton et bande magnétique

2000-2001 – 73′ 14

1. Mère Ubu reproche à Père Ubu son manque d’ambition : 7’54.

2. Les Ubu invitent à dîner un capitaine de l’armée polonaise et ses partisans mais la saveur des mets n’est guère appréciée par Père Ubu ni par les convives : 5’39.

3. Le capitaine s’étant allié au projet de conspiration de Père Ubu, celui-ci monte sur le trône de Pologne et décide de tuer tous les riches pour s’emparer de leurs biens : 8’33.

4. Pendant un premier intermède, un quiproquo s’installe entre Père Ubu et sa conscience à propos de l’image, concrète ou abstraite, d’un crocodile : 7′.

5. Dans la guerre que lui fait le Czar de Russie pour le punir, Père Ubu tente de remporter une bataille en s’installant dans un moulin à vent mais il tergiverse pour aller manger et écouter les louanges que lui chantent les soldats… : 9’53.

6…Jusqu’au moment où un boulet russe lui frôle la tête en arrachant une aile du moulin : 1’19.

7. Au cours d’un second intermède, on entend une chanson qui paraît venir du couvent alors que les propos semblent plutôt dignes d’un poste de corps de garde : 4′.

8. Mère Ubu est d’humeur gaillarde et minaude… : 2’54.

9. …Mais Père Ubu, faisant irruption, énonce les supplices qu’il lui réserve: 3’26.

10. Durant un troisième intermède, il est question du choix d’une paire d’écrase-merdres (matière qu’il serait trop facile d’évoquer au sens propre et qui est plutôt la métaphore de l’infâme bouffissure qui loge dans la tête de l’homme) : 4’14.

11. Fatigué par les avatars du pouvoir, Père Ubu déclare à sa femme son désir d’obéir désormais et de devenir esclave : 3’05.

12. Où Père Ubu se trouve dans une situation d’obéissance mais il fait le contraire de ce que commande le caporal : 5’08.

13. Père Ubu devient larbin et tient le buffet d’un raout mais, personne ne venant, il se croit obligé d’inviter de force l’hôtesse à valser : 5’53.

14. Suite et fin sans paroles, car il n’y a plus rien à ajouter (sauf le mot final qui du reste est le même que celui du début) : 4’16.

J’éprouve de la sympathie pour Ubu, à la fois rodomont et patte-pelue, couard et cupide. Il me plaît car je trouve en lui un personnage humain et mythique, plongé « jusqu’au cou » dans ses excès et ses contradictions, allant ainsi inéluctablement vers sa destinée d’imbécile. Il est certainement une des meilleures figures de l’histoire du théâtre. Sans doute, comme l’ont déjà dit d’autres avant moi, Ubu est un personnage, à la fois moderne et ancien, qui résume assez bien la tradition burlesque allant de la Commedia dell’arte et de ses personnages jusqu’à La Cantatrice chauve en passant par Scapin ou Falstaff, Guignol ou le Punch anglais. Il est éminemment plastique et c’est pourquoi j’ai tout de suite pensé que j’aurais à revenir sur la version de concert que j’en avais faite.

Alfred Jarry n’est pas l’auteur véritable de la pièce d’Ubu roi ; il ne l’est que par procuration, mais il est certainement le seul à avoir voulu prendre le Père Ubu au sérieux, comme un véritable personnage de théâtre, à avoir pris à bras le corps, pour nourrir son imaginaire, cette histoire de potaches rigolards et frondeurs, ses camarades de classe qui, eux, n’y ont jamais cru : Jarry a continué à écrire les aventures d’Ubu au travers de plusieurs autres pièces et de textes variés.

ÉGLISE OUBLIÉE (L’)

1997 – 8’55

C’est à l’occasion d’un quatrième concert collectif, mettant en valeur la diffusion en huit pistes, qu’a été réalisée la version originale de cette pièce. C’est pratiquement la seule que j’ai conçue pour ce format (et pour laquelle, l’analogie entre les arbres de la forêt et la répartition des haut-parleurs s’imposait…). Un climat théâtral s’installe par le mouvement qui est donné à la pièce mais aussi par une histoire que l’on devine, peu à peu, savamment tramée avec trois ou quatre repères anecdotiques. On l’entend comme une légende : un cavalier, perdu au fond de la forêt, sonne de la trompe ; il aperçoit une église au milieu d’une clairière et fait quelques pas à l’intérieur ; on entend le mécanisme d’une horloge qui se met en marche, une cloche qui s’égrène mais il n’y a personne… Le cavalier reprend son chemin et s’enfonce dans la forêt qui devient de plus en plus étrange : les sons de cloches se transforment en arbres de la forêt, en un mouvement d’accélération ascendante…

EAU PRIMESAUTIÈRE (L’)

pour saxophone sopranino et bande magnétique

1997 – 12’50

Le titre évoque l’espièglerie du clown, les ricochets d’un caillou sur la surface de l’eau, les gestes-pirouettes du plus petit des saxophones… Ruptures d’intensité et de continuité, descentes et montées grandiloquentes, hennissements de cheval, accentuations exacerbées, staccatos, martelés, trilles et tremblements divers mais aussi silences dus aux interruptions dessinées dans la bande : le comique est dans la figure musicale fantasque comme le travail appliqué de l’équilibriste traversant sur un fil ténu, dans l’extrême aigu, les chutes d’un torrent…

DANSE MACABRE (UNE)

1986 – 25’30

1. Eros : 6’20

2. L’approche : 7’56

3. Thanatos : 6’30

4. Danse de la séduction : 4’32

Il s’agit ici du thème de la jeune fille et de la mort dans la tradition picturale de Baldung Grien, Deutsch ou Graf. C’est dire que si la mort est évoquée, c’est en même temps l’amour et le sentiment d’un contact étroit allant jusqu’à la fusion ; histoire dans laquelle Eros devient l’élément féminin et Thanatos l’élément masculin, quelque chose qui, même vu de loin, ressemble à Roméo et Juliette, autre conception amoureuse et funèbre de la même époque. Le dramatisme s’estompe et se fond dans un discours allégorique, travaillé dans la lumière d’un léger martelé continu et tressaillant comme le clapotis musical de l’eau mais aussi comme une obsession qui devient assez vite étouffante. Il existe dans ce climat étrange et délétère une sorte d’angoisse permanente. Parfois, en émerge la présence d’un personnage extérieur au débat, plus réaliste, qui épie et semble regarder les deux protagonistes et qui inquiète encore un peu plus l’auditeur.

CRI

(à mon grand-père Victor)

 

1. Paysages mêlés : 8’02

2. Appels dispersés : 6’45

3. Eclats : 5’07

4. La terre raconte aux morts ce que disent les vivants : 9’02

1. Un ensemble d’évènements est perçu comme une variation jusqu’à ce que l’on ait mémorisé les mécanismes de cette variation. Ces évènements sont alors à leur tour perçus comme une permanence des lois de ces mécanismes au profit d’autres variations. Ce jeu permet d’identifier une permanence d’évènements avec un paysage sonore et une variation d’évènements avec les « habitants » de ce paysage. Dans ce premier mouvement, les variations deviennent tout à tour permanences et les permanences, variations comme autant de paysages préparant et s’intégrant à d’autres paysages.Le temps sonore par cet artifice, devient espace que l’on accepte de visiter dans ses détails ou que l’on refuse pour revenir au temps réel qui n’est plus celui de cette musique. Ainsi au début, le départ brutal du son fait pénétrer l’auditeur en plein centre d’une continuité de paysages; ainsi un interrupteur actionné par une main anonyme viendra couper ce mouvement comme on éteint la radio.

2. La première section de ce second mouvement est basée sur un fond rythmique qui symbolise le déroulement de temps sur lequel se détachent les appels au contenu descriptif volontairement extraordinaire, d’une voix qui tente d’arracher l’auditeur à cette continuité. Dans la deuxième section, le fond évoque davantage l’espace et les cris protéiformes l’habitent avec, cette fois, un contenu émotif (exclamations, rires, etc), puis le fond se résorbe et devient un jeu musical très concret animant un nouveau décor, celui de la multitude des voix dans laquelle quelques appels se distinguent encore. Enfin, dans la troisième section, étouffé progressivement, le sens des appels n’est plus perçu. Les cris deviennent une permanence et ne sont plus qu’un nouveau décor parmi les autres. Dans ce mouvement, le côté esthétique et travaillé des sons est surtout utilisé comme ponctuation, un peu comme un entr’acte pendant un changement de décor.

3. Le cri est ici continu : cris de colère et de fête, de musiques, de radio, de machines, de sirènes et de klaxons. La notion du temps s’impose sous forme de d’un rythme oppressif qui compresse et dilate l’énergie contenue, l’éclate et la fragmente, la varie en spasmes et en saccades. Un indicatif électronique se superpose régulièrement aux différents appels allusifs, mobilisant l’attention et, seul à la fin, amène le silenc

4. L’auditeur devient résonateur et le cri, étiré à l’extrême dans un temps ralenti, se fait matière organique dans l’épaisseur de laquelle on distingue de plus en plus les détails qui deviennent à leur tour matière événementielle. Cette épaisseur est le symbole du temps qui contient l’évolution de l’homme et qui, enfin traversée, révèle la voix de l’ancêtre. Ce cri, d’abord plainte familièrement humaine, s’affirme dans son origine instrumentale qui, ambigu et très grave, devient un râle profond. Les archétypes se sont tus, laissant la place à des murmures portés par l’écho. Ce sont ceux d’une foule calme et lointaine, qui vont et viennent parmi des bruissements concrets et organiques et qu’accompagnent, par transparence, les prémices d’un chant électronique, solliciteur de nouveaux paysages. L’espace-temps que l’on vient de traverser durant toute la pièce avec son contenu allusif, n’existe plus. Reste un jeu esthétique d’étincelles et de particules sonores diluées dans la vide. Le chant électronique revient, s’enfle et se libère enfin dans la conclusion de la pièce.